22 août 2018

2018 été #1 : les Alpes

Leçon du premier jour : une chaîne neuve ne cohabite pas avec un plateau aux dents usées. Punition : rester sur sa case un jour de plus. Leçon du second jour : quand on choisit une route inhabituelle, vérifier la pente. Au-dessus de 16%, il faut pousser. Savoir faire demi-tour à temps. Leçon des jours suivants : les Alpes c'est grand, et c'est haut. Parfois mieux vaut s'écouter et prendre les fabuleux trains suisses et les cars italiens... pour mieux profiter.
 
Jours 1 et 2 : en vérité je ne voulais pas partir aussi vite. Une semaine de repos n'aurait pas été de trop pour évacuer l'épuisement. Mais l'itinéraire supportait mal une semaine de moins... et j'en avais trop parlé autour de moi. On serre les dents, on prépare les affaires par habitude, on se met en pilotage automatique, et on y va. Le premier jour en plus n'est pas le plus excitant. À la première montée la chaîne saute. Elle est neuve, pas le petit plateau, usé par les effroyables côtes anglaises de l'été dernier. Tout ça n'ira pas beaucoup plus loin. Une partie de soi raisonnable dit de rentrer tranquillement, de faire réparer le vélo pendant qu'on se repose, et de partir vers une autre destination. Une autre demande de rester à Albertville une journée au moins (mais qui voudrait y passer des vacances ?) le temps des réparations. Le camping municipal est accueillant.








Jour 3

Le nouveau petit plateau a deux dents de trop. On ne rigole pas : avec un vélo aussi chargé, ce n'est pas insignifiant dans les montées. Je le sens à la première côte, à partir de Ugine. Mais ça passe, tellement content d'être reparti. J'obéis à la bonne résolution de faire la sieste (ça ne marchera que les premiers jours) à Saint-Gervais. Comme à chaque fois je suis impressionné par le Mont Blanc. Il écrase tout. J'avais prévu un itinéraire par une piste forestière pour éviter le bas de la vallée. Quand j'ai vu un écriteau "17%", j'ai décidé de ne pas y croire. J'aurais dû. Une heure après, je n'avais avancé que de 600 mètres. Ça ne va pas vite de pousser un vélo chargé. Les pieds n'accrochent plus au sol et reculent. Retour sur l'itinéraire ordinaire, et bivouac dans la forêt au-dessus de la route. J'ai dû enlever les sacoches pour y accéder, mais j'y étais bien caché.

 

Oh le joli petit col entre les deux pointes boisées. Mais la piste qui y mène est trop pentue.



...vraiment trop pentue !





Jour 4

Chamonix, où on ne reste pas, Argentière, le col des Montets, pas difficile, et pour éviter la remontée vers le col de la Forclaz, une petite route vers Finhaut, puis une piste, au début roulante, puis plus du tout. Martigny et ses champs d'abricotiers, vent de face, jusqu'à Aigle, où j'ai la flemme de chercher un lieu de bivouac, je vais au camping. Le billet de 100 francs que je viens de retirer prend cher !


Chamonix




Valais. Au fond, Martigny.



Jour 5

De Aigle, je prends l'itinéraire vélo 4 qui part dans la montagne. Itinéraire vélo peut-être, mais pas pour les vélos chargés. C'est le retour des côtes à 17%. En 5 heures, 14 km. Mais ça en valait la peine. D'en haut on domine le bout du lac Léman, qui se perd dans la brume. On se croirait en avion.  Pendant la montée je bavarde un peu avec un cycliste en carbone. A Corbeyrier, il va chercher des petits pâtés en croûte, les meilleurs de la région, peut-être de la Suisse, dit-il, et m'en offre un. Je suis un peu gêné par cette gentillesse. "Oh ce n'est pas grave, c'est celui que j'avais acheté pour ma femme !" Bref. Pendant des kilomètres, la route traverse des alpages déserts à 1400m d'altitude, jusqu'au col des Mosses. Descente vers Château d'Œx, Rougemont, Saanen où j'avais eu si froid il y a deux ans. Bivouac facile à trouver.


Le début d'une terrible montée.


Lac Léman




Chalet à Rougemont. Les façades en bois, décorées, sont magnifiques.

Seuls les Suisses comprendront...




Jour 6

Suite de la descente vers Spiez, où on avait mangé il y a deux ans à la cafétéria du Migros un jour de déluge. Une fabuleuse piste cyclable le long de la Thunersee amène jusqu'à Interlaken. Et là ? Vais-je choisir la facilité et prendre l'itinéraire classique, manger des meringues à Meiringen ? Ou passer par Grindelwald, sorte de Nice suisse à la montagne, écrasée par la face Nord de l'Eiger, et franchir le Grosse Scheidegg, 1962m, col interdit aux voitures et motos, où les pentes les plus douces sont à plus de 10% ? A Innertkirchen, je vois un petit camping, où je me remets de mes émotions en buvant des bonnes bières avec des grimpeurs hollandais sympathiques.

 



Thunersee

montée au Grosse Scheidegg

Sommet du Grosse Scheidegg
 



Jour 7

Je lutte toujours contre l'envie de rentrer à la maison dormir une semaine. Au programme de la journée, Sustenpass, 2224m, et Oberalppass, 2044m, pour arriver dans la vallée de Rhin Antérieur, où Andrea, hôte warmshowers, m'attend. Le Sustenpass prend plus de temps que prévu. En bas, de l'autre côté, une vallée caniculaire, une autoroute, 2 voies ferrées, une route, un torrent. Pas de place pour autre chose. Je commence la longue remontée vers Andermatt, en paniquant un peu parce que je vois bien que je ne vais pas arriver à l'heure. A Göschenen je trouve une gare avec un petit train qui va à Andermatt. En Suisse chaque village a sa gare avec un train toutes les heures. Et à Andermatt, je décide de continuer sur ma lancée jusqu'au village d'Andrea. Ce serait dommage de rater la fondue ! Et ainsi j'ai fait mon petit tour de train à crémaillère, un vieux rêve. Andrea m'amène dans un chalet d'alpages. On y bavarde, on y mange, on y boit (on ne doit pas boire d'eau avec la fondue, alors nous on a respecté la tradition). 
On y fait des plans pour le lendemain. Je voulais éviter cette partie, que j'ai déjà faite il y a 2 ans. Je vais prendre le train.









Jour 8

Drôle de journée. D'abord 10 km de vélo, de la descente. Puis 120 km de train, en empruntant le Rhätische bahn, un des trains les plus spectaculaires d'Europe, jusqu'à Preda, au pied de l'Albula pass. J'aurai gagné 2 jours, et enfin perdu l'envie de rentrer. De toutes façons maintenant ça fait un peu loin ! De l'autre côté du col, une grosse rivière : l'Inn, qui va se jeter dans le... Danube. Un autre monde. Bivouac à Pontresina, où là non plus il n'y a pas de pauvres.





Inn

Pontresina



Jour 9

J'en suis à un stade où je suis l'itinéraire prévu, plein Est, sans trop me poser de questions. Les paysages magnifiques suffisent. Quatre gros cols et passage en Italie aujourd'hui, mais peu de descente entre chaque. Les cyclistes carbone me disent des trucs que je ne comprends pas, c'est certainement des encouragements. Quand je m'arrête et que ça se sait que je suis français, tout le monde me félicite pour la victoire de l'équipe de France de foot à la coupe du monde, la veille. Au début j'expliquais que ça me laisse indifférent, mais ça, personne ne comprend ici.
Et puis au sommet du 3ème col, quand je prenais la traditionnelle photo, un cycliste s'approche : c'est mon pote Rolland, avec d'autres amis. On était certain de s'être loupés au Stelvio, et on se retrouve par hasard ici. Chouette moment de retrouvailles.
Quatre cols c'est trop. Je trouve un hôtel pour backpackers pas cher à Bormio. Demain Stelvio.










Jour 10

J'avais passé une partie de la nuit précédente (et la moitié d'une batterie du téléphone) à chercher sur la carte une alternative au Stelvio. Pas envie de faire le héros. Et à l'hôtel, un autre client me donne la solution : le bus. Pour un prix dérisoire, il monte personnes et vélos tout là-haut. Et c'est l'Italie : quand le chauffeur voit mon vélo à 3 roues et les 5 sacoches, au lieu de pester il éclate de rire et me dit de me débrouiller. Je ne parlerai pas de la longueur de la descente, c'est indécent ! Bivouac dans un verger un peu avant Merano.


Trop facile !


Pas certain qu'on ait moralement le droit de faire cette photo, quand on a monté assis dans le car. "We are not heroes, we're just on holidays !" me dit mon voisin en éclatant de rire.


Vergers du Haut Adige


Sur cette piste cyclable, un bar pour cyclistes.





Jour 11

Je pars du verger juste avant que l'agriculteur ne vienne y pulvériser ses produits chimiques. La descente continue sur cette piste cyclable continue (qui relie l'Autriche à Venise) jusqu'à Bolzano. À partir de là, je remonte une autre vallée, pire que la Maurienne : autoroute, route, train, piste cyclable sur l'ancienne voie ferrée, et torrent. De la place pour rien d'autre là non-plus. Le bruit des camions est incessant, envahissant. C'est une autre grande piste cyclable : Munich - Venise. Sans rupture, elle non plus. L'itinéraire prévu me faisait bifurquer à l'Est, au cœur des Dolomites. J'y renonce. Trop tard, trop fatigué, route trop pentue. Une autre fois.
La punition, ce sera un bivouac dans la forêt, mais pratiquement au bord de l'autoroute (celui qui relie l'Allemagne au Nord de l'Italie, un trafic énorme) et de la voie ferrée.


Bolzano




 Jour 12

Toujours plein Est, toujours la piste cyclable en site propre. Les dolomites à droite. Le soir je m'arrête à un camping. On n'y accepte pas les tentes, seulement les camping-cars. La dame m'y trouve un coin d'herbe, elle ne me fait pas payer. La classe. Je suis à 150 mètres de la frontière autrichienne.








Jour 13

Courses à Lienz, ville agréable. L'après-midi, l'orage menace, puis éclate. Je trouve abri sous l'auvent d'une petite église de campagne, je ne suis pas le seul. Il y a 2 familles à vélo, avec remorques, vélos couchés... la piste cyclable crée du tourisme. L'ambiance est sympa. On s'échange la nourriture et on y fait du café pour tout le monde.
Quelques kilomètres plus loin, je quitte la vallée, et je monte vers un lac, la Weißensee. Là non plus ce n'est pas du tourisme populaire. J'ai prévu de camper dans la forêt. Mais sur un pont, je vois un bateau prêt à partir vers l'autre bout du lac, où il y a un camping. Je dévale l'escalier vers l'embarcadère, le vélo en morceaux sous le bras,  et me voilà embarqué. Petite croisière d'une heure. Ça tombe bien, il pleut.




Weißensee



Jours 14 et 15

Gros orage le matin. La tente est vieille, elle n'est plus vraiment imperméable. Au restaurant du camping où je suis allé pour capter des bribes de réseau, je bois un des cafés les meilleurs de ma vie. Les hasards des réservations d'hôtel à prix raisonnable m'amèneront à Pontebba, pas vraiment sur ma route. Treize jours de vélo sans repos, c'est trop. Les orages sont encore prévus pour le lendemain. Les débuts du trajet sont charmants. L'Autriche des cartes postales... Oh ! J'ai bien fait d'aller au camping, il y a des ours dans la forêt. Je me déroute de l'itinéraire prévu pour repasser en Italie, par un col pas vraiment gentil. L'hôtel est charmant, vieillot. J'y resterai 2 nuits. Ce n'est pas un village qu'on choisirait comme étape, et pourtant j'y ai passé une journée de repos agréable.






Hôtel à Pontebba

Pontebba



Jour 16

Bien reposé, je reprends la route... enfin la piste cyclable. Celle-là relie la mer Adriatique à l'Autriche. Des trains sont prévus pour remonter les cyclistes qui ne font que descendre vers la mer. Et des cyclistes, il y en a ! À Tarvisio, je bifurque (sur une autre piste cyclable, qui va à Ljubljana, celle-là) et je passe en Slovénie. Commence la montée du col de Vršič. Pas si haut, mais raide, avec les virages en pavés. De l'autre côté, c'est le paradis : la vallée de la Soča, rivière interminable, bleue limpide, au milieu du massif du Triglav, qui fait passer la Chartreuse et le Vercors pour de vagues collines. À Bovec, une voix me hèle : "What are you looking for ?" C'est Pika. Elle travaille dans un Aventure Parc, elle voyage aussi en vélo avec son ami quand ils sont en vacances. Du coup je suis invité. En attendant la fin de son travail, je change les plaquettes de freins, neuves au départ. Il n'en reste rien. Les bières slovènes sont excellentes. La Slovénie restera le pays des gens accueillants et souriants. Les autres voyageurs à vélo que j'ai rencontrés ensuite étaient tous d'accord.






Bovec, à l'endroit où Pita m'a appelé.



Jour 17

Fin des Alpes. La nuit précédente a été courte. Il faut que j'arrête de goûter toutes les bières des pays que je traverse, il y en a trop ! Et puis du coup je n'arrive plus à parler anglais. Sur la place du village, pour un anniversaire, il y avait un orchestre qui jouait de la musique traditionnelle slovène. Ça ressemble franchement à la musique tyrolienne. J'ai quitté Pika et son copain Mitja assez tôt ce matin. Je continue à descendre la vallée.
À Talmin il y avait manifestement beaucoup trop de monde pour ce gros village, et tous un peu bizarres... jusqu'à ce que je comprenne qu'il y avait un gros festival de métal. Mon trajet qui passait par des petits chemins traversait les campings du festival. À chaque fois je devais m'expliquer au service d'ordre. Je faisais vraiment tâche dans ce décor.
Et puis en fin d'après-midi, une colline, puis... le plat, la morne plaine. Les Alpes, c'est fini. Je repasse (encore) en Italie, vers Monfalcone. Là  plus de paysages. Je me dirige machinalement, kilomètre après kilomètre, vers une zone où l'examen de la carte me laissait penser qu'il pourrait y avoir un coin de bivouac. Ça marche ! Mais les moustiques m'y attendaient.


Rivière Soča

Parfois l'itinéraire cyclable se dégrade...

...vraiment. Puis ce sera bien pire : je devrais démonter les sacoches, les porter sur 300 mètres deux par deux, puis le vélo.








... à suivre