Enfin l'Angleterre. Le climat est rude, les routes sont "so rough", les paysages plutôt spectaculaires, quand ils ne sont pas abîmés par le tourisme de masse. Seulement 4 nuits en camping sauvage tant il a plu. Les auberges de jeunesse sont nombreuses et plutôt bon marché.
Jour 22
Tant que je suis dans le ferry, tout va bien. Comme d'habitude il y a quelques cyclos et on passe la traversée ensemble à papoter. Au fur et à mesure que la côte anglaise se rapproche, je trouve de plus en plus débile l'idée de venir seul dans un pays inconnu où il fait froid et où il pleut. Sans compter les routes notoirement étroites et pentues. Je me réconforte en pensant aux cyclos qui partent seuls pour des aventures transcontinentales. Et ils ne pleurnichent pas, eux ! Heureusement je parle la langue et je comprends à peu près ce qu'on me dit. C'est au moins ça !
J'ai fait le plein de nourriture avant de partir, il faut quand même trouver des pounds et un adaptateur pour prise électrique. A Plymouth, La ligne violette du GPS me conduit dans des petites rues dans un quartier calme, et traverse la baie alors qu'il n'y a aucun pont. Faute de mieux je la suis aveuglément, et au bord de l'eau je lève le nez pour voir... un petit ferry qui embarque piétons et vélos. Heureusement, le premier pont est à plusieurs dizaines de km de boulevards urbains. Je passe en quelques minutes du Devon aux Cornouailles (Cornwall). Et de la ville à la campagne. Les paysages sont tout de suite magnifiques, surtout depuis la route militaire au-dessus de l'Océan.
L'eau c'est exclusivement dans les toilettes et les cimetières. Trouver un coin de bivouac me prend du temps. Les fermes sont entourées de hautes haies infranchissables, les champs sont fermés par des barrières métalliques solidement verrouillées. Pas toutes heureusement ! Je finis par trouver une vieille écurie abandonnée, à l'intérieur de laquelle je monte la tente pour m'abriter du vent. La violation de propriété privée est le salut du cyclo-campeur. Heureusement que la nuit tombe tard ici.
Jour 23
C'est le second jour en Angleterre, celui où je vais prendre la mesure de l'état et du tracé des routes. L'altitude moyenne de cette région est à peu près 150m. C'est un plateau vallonné, coupé de vallées peu profondes mais abruptes. Les routes tracent tout droit. La moindre pente sur une route principale est au minimum de 17%. Sur les petites routes, on peut trouver du 30 % (oui trente !). Les routes, même principales, sont invraisemblablement étroites. Le flegme et la patience des conducteurs britanniques permettent qu'il n'y ait pas trop d'accidents. Il doit y en avoir quand même beaucoup, les unes des tabloïds en parlent fréquemment.
Départ de l'écurie, première effroyable descente vers Looe, où tout est encore calme et fermé. J'en profite pour planifier la suite du voyage et trouver des hébergements pour les prochaines nuits où la météo s'annonce mauvaise. Les auberges de jeunesse sont nombreuses et bon marché, heureusement. Première terrible montée pour sortir de ce vallon. Toute la journée, et les suivantes, ce ne seront que descentes à faire peur, et montées où la roue avant se soulève à chaque coup de pédale.
Le port de Polperro, où je suis descendu seulement parce que je trouvais le nom joli, n'a pas été défiguré, et la pêche y est encore active.
Arrivée et bivouac à Mevagissey, joli port aussi, mais tellement touristique.
Polperro |
Polperro |
descente vers Polruan |
traversée Polruan - Fowey |
Mevagissey |
Mevagissey |
Jour 24
Drôle d'étape : plus de 50 km, pour me retrouver dans une auberge de jeunesse à 5 km du champ où j'ai campé la nuit précédente. Il me fallait aller à Truro pour faire les courses. On en apprend des choses sur un pays en parcourant les allées de ses supermarchés ! On m'y offre le café. J'étais content parce que je croyais que ce serait chaque fois pareil, mais j'ai dû déchanter.
Nuit à l'auberge de jeunesse de Boswinger, où l'accueil est super. Je bois une bière extraordinaire que j'ai achetée ce matin. La nuit j'écoute avec délectation la pluie tomber : je suis au sec sous une couette !
route anglaise |
Boswinger |
Jour 25
Et voilà le vrai mauvais temps ! Le prochain hôtel est à Falmouth, ville moyenne à 35 km, avec un bras de mer à traverser. Le GPS me fait faire un peu n'importe quoi : sentiers de terre (enfin, de boue), traversée de plage...
A Saint-Just, à quelques km du petit ferry qui conduit directement au port de Falmouth, je croise un cycliste anglais qui me dit : "no ferry today !" Il existe un autre ferry à 10 km, pour voitures et camions celui-là, mais après la traversée il y a 20 km de grosses routes, étroites et pentues, comme toujours.
Bref, j'arrive à l'hôtel, un peu chic, complètement détrempé, après avoir mal mangé dans un abribus. Bien sûr, le soir le beau temps revient.
Boswinger, départ |
King Harry ferry. Je retrouverai Andrew, ce cycliste, demain à Penzance |
repas dans l'abribus |
Falmouth |
Jour 26
Je veux aller au cap Lizard. Pendant ma jeunesse j'écoutais la radio le soir, et à 20h on avait droit à la météo marine. Et dans la litanie des secteurs marins, il y avait "Lizard". C'est seulement pour ça que j'y vais, parce que c'est un sale détour. Ce n'est pas une raison très rationnelle, mais ça valait le coup. Il n'y a qu'une seule route pour les 15 derniers kilomètres, et elle est très fréquentée, et étroite (oui, je me répète). Une seule solution : les écouteurs et la techno bien fort. C'est pas bien, on me l'a dit déjà ! Repas en regardant depuis le haut des falaises les phoques nager. Puis retour par la même route, et tranquillement jusqu'à Penzance, en passant devant le Mont-Saint-Michel anglais, qui s'appelle... Saint Michael's Mount ! Le nôtre (le vrai) est beaucoup mieux, bien entendu ! Nuit dans un hôtel pour backpackers (auberge de jeunesse privée).
Jour 27
Grosse étape. Après le point le plus au Sud de l'Angleterre hier, celui le plus à l'Ouest : Land's End. Falaises magnifiques, lande, ciel bleu, tout y était. Même le centre commercial et le parc d'attractions. Photos du cap payantes. L'entrée de ce lieu de perdition entourée de colonnes, comme ça l'expression "les marchands du temple" prend tout son sens ici. Je n'y reste pas longtemps. La suite de la journée se passe à remonter la côte Nord des Cornouailles en direction du Nord-Est. Que du bonheur. Une toute petite route qui longe et qui domine la mer. D'anciennes mines d'étain abandonnées depuis longtemps contribuent au caractère désolé. On n'ose pas s'imaginer ce décor au mois de novembre en fin de journée !
Saint-Yves doit être un joli port... en dehors de la saison touristique. Mais là j'abandonne vite. Dommage, c'est le titre d'un album de John Surman, je m'étais imaginé un paysage solitaire... Cette côte est trop touristique, je ne trouve pas d'endroit discret pour bivouaquer. Je demande de l'eau dans une maison, avec toujours la même question déloyale : "Vous ne sauriez pas où il y a une fontaine ou un robinet ? " Ça marche à tous les coups... enfin presque. Je mange dans un abribus le temps que l'averse qui me poursuivait me rattrape et me double. Et quand je n'ose plus y croire, après avoir marché 1 km sur un sentier en poussant vélo plus remorque, je trouve le coin de paradis, en haut d'une falaise, au milieu des bruyères, avec le bruit des vagues. Vite monter la tente avant l'averse suivante... je suis au sec quand elle arrive !
Une des plus belles étapes, vraiment.
Land's End |
Saint-Yves |
Porthtowan |
Jour 28
On continue de remonter la côte vers le Nord. Café à Perranporth où je consacre un bon moment à préparer la suite du voyage. L'épisode de beau temps semble fini. Il faut réserver dans les auberges de jeunesse, idéalement situées dans cette région. Une gérante me confiera plus tard que dans ces auberges, on ne laisse jamais un randonneur dehors, même s'il n'a pas réservé.
Comme d'habitude, je ne m'attarde pas dans la grande ville de la région, Newquay. En fin d'après-midi j'arrive à Padstow, joli port encore, mais trop de monde. Une voie verte, mais oui, conduit jusqu'à Wadebridge. Courses (pour la première fois je suis obligé d'acheter de l'eau en bouteilles !), et retour en arrière sur la voie verte. Je pousse la barrière d'un champ que j'avais repéré. Ouverte ! Un champ rien que pour moi en bordure de la rivière Camel. Cette nuit-là, j'ai entendu les chants d'oiseaux les plus magnifiques !
Perranporth |
Newquay |
voie verte entre Padstow et Wadebridge, le long de la rivière Camel, à marée haute |
Jour 29
Ah mais c'est samedi. Et en Angleterre les samedis d'août sont aussi des jours de migration. J'avais prévu de me rendre à Bude par la route principale, mais on me fait vite comprendre que ce n'est pas ma place aujourd'hui. Je n'insiste pas et je rejoins la vélo-route 3 bien à l'intérieur des terres. Le tracé est sans pitié, j'y ai croisé des cyclistes qui pleuraient dans les montées. Mais on y est en sécurité et les paysages sont mignons.
Je fais un gros détour par Tintagel, toujours à cause de l'album de John Surman et du magnifique et si triste morceau qui porte le nom de cette petite ville. Je m'étais imaginé un décor fabuleux de landes et de rochers... C'est un village consacré au tourisme, à cause de Merlin l'enchanteur, du roi Arthur, etc etc... Finalement je me décide à laisser le vélo tout seul, en me disant que personne ici n'aura ni l'idée ni la capacité - le surpoids est la norme ici - à lui faire remonter la côte par laquelle je suis arrivé. Je vais au château prétendument du roi Arthur, c'est à dire les 3 pierres qui tiennent encore l'une sur l'autre. Je me moque mais c'est joli quand même...
L'arrivée à Bude est l'occasion de tester une descente à 30%... puis une montée à 30% aussi. Avec cette pente, il est tout aussi difficile de pousser un vélo de voyage avec ses sacoches. Bude est la dernière étape en Cornouailles. C'est une ville qui est tournée vers le surf, l'été.
Juste avant le départ |
Tintagel |
Château du Roi Arthur |
Et là je me suis dit que je n'aimerais pas avoir à monter une telle pente... |
et là je me suis dit... |