Une longue nuit en ferry entre Hirtshals et Bergen, avec un arrêt à Stavanger. Cette traversée évite la Norvège du Sud, pourtant spectaculaire elle-aussi. Il aurait fallu partir deux ou trois semaines plus tôt.
Cette étape nous fait découvrir des paysages sublimes, mais aussi la rudesse du climat Norvégien. « Quand vous avez été en Norvège, vous savez ce que le mot "pluie" veut dire ».
12 juin : arrivée à Bergen.
La traversée est bien secouée. Le Nord tient ses promesses : le ferry louvoie entre des îles de granit verdoyantes, mais il pleut et il fait froid. Première impression de Norvège :
La tempête est annoncée pour une semaine. D'ores et déjà je vais rester un jour de plus à Bergen... Avec Walter on envisage de pédaler ensemble les premiers jours. On fera un petit peu moins de kilomètres par jour, et à deux ce sera moins difficile. On vient de se rendre compte, là au pied du mur, que ce pays est immense, qu'il nous faudra au moins 6 semaines, donc bien plus que ce qu'on a déjà fait, pour espérer atteindre le Cap Nord.
13 juin : Bergen
Encore une journée de repos, un peu forcé, à cause du mauvais temps. L'occasion de préparer un peu la suite, bien installé dans un bar agréable et confortable. On s'y est retrouvé avec Walter pour envisager la suite. Et là on s'est rendu compte qu'avoir les moyens de se payer un hébergement en dur quotidiennement n'était pas forcément un avantage : il n'y a quasiment rien. Walter a fait une drôle de tête quand il a vu que la carte d'AirBnB était vide sur notre parcours, pendant des jours et des jours. Du coup il a filé acheter une tente. Et on a décidé de s'associer pour un certain temps, suivant un mouvement spontané, puisqu'au fur et à mesure que l'on progresse vers le Nord, les cyclistes solitaires finissent par se constituer en groupes. Tout ça pour augmenter un peu la probabilité de réussir, parce qu'on sent bien, maintenant qu'on est en Norvège, que ça peut se jouer sur un petit rien. Et puis parce que Walter est manifestement un compagnon avec qui voyager est facile et agréable.
On rencontre aussi des gens qui nous posent l'inévitable question : "Mais pourquoi le Cap Nord, à vélo ?" Et là, catastrophe, on prend conscience qu'on n'a pas vraiment la réponse. Bien sûr, tout le monde nous a dit qu'après Trondheim ce sera magnifique, mais il existe d'autres endroits magnifiques sous des climats moins rudes. La réponse est certainement plus à chercher dans le voyage lui-même que dans la destination... On entendra cette question tout le long du parcours, jusqu'au retour. On en discutera avec les autres cyclistes, qui sont dans leur majorité à la peine pour répondre à cette question.
14 juin
Et c'est donc à nouveau le départ, à deux cette fois, et sous la pluie (mais elle ne durera pas).
Auparavant j'aurai été faire les courses pour la journée. Les
prix sont tellement élevés que ça relègue la Suisse à un pays du
Tiers-Monde. Comme on ne comprend rien, on achète à la devinette.
J'aurai ainsi mangé des tranches de fromage aromatisé au caramel.
Les 30 premiers kilomètres serpentent dans une riviera glaciale.
Au fur et à mesure, les paysages deviennent étonnants : des
forêts qu'on trouve en moyenne montagne granitique, typiquement les
balcons de Belledonne, mais au niveau de la mer, qu'on voit partout.
Très déroutant, mais magnifique.
Comme on est deux, on peut se permettre d'être un peu
moins bien caché : premier bivouac en Norvège, premier bivouac au bord
de la mer.
15 juin
La journée commence (après un petit déjeuner au soleil au bord de l'eau) par un petit tour de bateau. L'autre côté du fjord est aussi assez industriel, mais bien vite on se retrouve en pleine nature. C'est la montagne à l'altitude de la mer, le silence, le bruit de l'eau qui coule, les chants des oiseaux... et les côtes, jamais longues, mais jamais gentilles.
On arrive au second ferry de la journée, embarcadère désert, temps gris, vent froid. Des vieux horaires sont affichés, qu'on arrive à traduire : 2 heures d'attente. Il y a toutes les commodités : lavabo avec eau chaude, salle d'attente chauffée où nous étalons nos affaires et commençons à faire chauffer de l'eau... quand un ferry arrive au bout de 30 minutes, et c'est bien le nôtre. Heureusement ils ont accepté d'attendre qu'on remballe en catastrophe. Plus tard on apprendra à se servir de Google, mais surtout d'une application norvégienne qui donne tous les horaires de tous les moyens de transport. On aura appris qu'attendre des ferrys sur des quais ne nous fait pas beaucoup avancer, et on a dû sérieusement raccourcir l'étape. Et pour cette nuit pluvieuse (avant une journée pluvieuse qui va précéder une autre nuit pluvieuse...) c'est le luxe d'une cabane dans un tout petit camping à la ferme. Comme on est deux, ça fait un prix accessible.
16 juin
Hier soir, en examinant la carte que j'utilise, qui est d'une précision redoutable (Locus Map), je m'aperçois qu'une liaison maritime pourrait exister depuis le débarcadère du dernier ferry, jusqu'à Florø,... un bond de 3 jours dans le futur. La propriétaire du camping n'a pas ménagé sa peine pour nous trouver les horaires de ce hurtigbåt, bateau express, manifestement très utilisé par les Norvégiens des fjords. Le bateau suit des bras de mers très étroits, on passe entre des falaises de granit noir brillant, quelques taches de vert intense, c'est très impressionnant.
Arrivés à Florø, sous un déluge, on se réfugie dans la salle d'attente des ferrys. On apprendra par la suite que Florø est réputée être la ville la plus pluvieuse de Norvège. Toutes les villes de Norvège ont la même réputation... 😄 On convient que les conditions météo nous scotchent ici pour 2 nuits, on passe pas mal de temps à trouver des "cabins". Cela commence à ressembler à des vacances de luxe... et on n'avance pas beaucoup.
18 juin, 61° 58' lat N
Après une journée enfermés dans le bungalow à regarder la pluie drue tomber, nous voilà repartis avec un peu de soleil... et un solide vent glacial, fallait pas rêver quand même. À Florø, c'est "laksens dag", la fête du saumon. Beaucoup de monde, des stands où on peut manger gratuitement du saumon sous toutes ses formes. On a fait quelques aller-retours dans la rue principale, en picorant à chaque stand (j'ai adoré le saumon avec des morceaux de mangue), on n'avait plus très faim après. On a pris le premier ferry de la journée. C'était encore un catamaran express, où on ressent bien chaque vague. Et des vagues il y en avait, car le vent glacial bien entendu, est fort. On a traversé l'île de Bremenger, une merveille. On a failli se faire emporter par le vent à la sortie du tunnel. Du haut des lacets, on a vu le second ferry de la journée qui commençait à débarquer des voitures. On a foncé comme des dingues, ils ont fermé les barrières juste derrière nous. Je crois qu'ils nous avaient vu et qu'ils nous attendaient. Les gens ici sont adorables.On a débarqué à Måløy. La route monte, traverse un tunnel, on se retrouve à l'extrémité d'un fjord sauvage. Les averses, énormes, se succèdent. J'étais bien parti pour du camping sauvage, mais j'en ai mal au bout des doigts, malgré les gants, tellement il fait froid. Et on n'est pas assuré de trouver un pré où on ne s'enfonce pas dans l'eau jusqu'aux genoux. On passe devant un camping qui a des "cabins", c'est même pas cher.
Florø |
19 juin, 62° 12' lat N
Une journée, ensoleillée le long de l'eau... on a passé
l'après-midi à faire le tour d'un fjord : beaucoup de kilomètres, peu de
progrès sur la carte. On a complètement loupé les courses hier samedi, on s'est retrouvé
sans rien à manger jusqu'à 17h, heure du maxi hamburger providentiel,
dans une station service, à Larsnes.
Il n'y a absolument aucun hébergement dans la zone, c'est
bivouac obligatoire... mais pas si facile à trouver. On s'arrête sur une
aire de repos, pour faire des photos, et on se dit qu'on y serait pas
si mal. De toutes façons, il y a au moins la vue.
20 juin, 62° 28' lat N
Aujourd'hui c'était une journée de transition 🙄... On a traîné pour partir tellement la vue était magnifique. Ensuite cap au nord, aujourd'hui principalement sur des grosses routes... où le mythe du Norvégien cool en prend un coup. Certains avaient décidé que notre place n'était pas sur cette route, et nous l'ont fait savoir de façon fort dangereuse. On a traversé 12 km de banlieues à Ålesund pour atteindre un camping, ils ne nous laisseront pas un grand souvenir, surtout contre un vent glacial et dans une lumière triste... et pour que la journée soit réussie, la pluie est de retour. Les montagnes de l'autre côté du fjord ont encore de bonnes plaques de neige. Heureusement on est bien à l'abri.
21 juin, 62° 41' lat N
Ce matin, c'est la purée de pois. On ne voit plus les
montagnes en face de nous. Au port de plaisance, je retrouve un de ces
gigantesques paquebots, que j'avais vu passer devant moi sur l'Elbe le
soir du 4 juin. On rejoint le port de Ålesund sous une pluie battante et on
prend le ferry une fois de plus. C'est un express, hors de prix, mais
pas moyen d'y couper, sauf par un détour de 45 km. On est pas motivé par
le détour, surtout sous ce déluge. On pédale 20 km sur une première île, on est encore sec mais
ça ne dure pas longtemps. Deuxième ferry : on aurait tellement aimé que
la traversée soit plus longue, pour avoir plus de temps pour se
réchauffer. Au débarcadère où on comptait manger, consternation ! Il n'y
a pas de salle d'attente. Pas d'autre solution que de repartir sous la
tempête, le visage fouetté par la pluie, des centaines de petites
aiguilles glaciales qui nous font fermer les yeux. On va pas jouer les
héros, question motivation, il y a eu un ou deux moments compliqués. À Midsund, on a trouvé refuge dans un snack un peu luxueux,
mais chaud, encore une occasion imprévue, mais inévitable, de lâcher
presque 200 NOK 😕.
Trois kilomètres après Midsund, on sait qu'il y a un
camping. On a été faible, on y est resté. Le soleil finit par percer,
mais la température reste tellement basse : il a fait entre 5° et 11°
aujourd'hui. Il paraît qu'il y aurait une canicule dans le reste de
l'Europe... difficile à croire depuis la Norvège.
Aujourd'hui, on aura beaucoup apprécié la prévenance des
gens, les conducteurs qui se déportent le plus possible pour ne pas nous
éclabousser, les simples passants qui nous encouragent, les employés du
ferry qui vérifient plusieurs fois notre destination pour que nous ne
nous trompions pas...
C'est la première fois depuis Hirtshals que je pédale seul. La route est belle... comme presque toujours. Lors d'un arrêt photo, je vois un cycliste qui me suit. C'est Douglas, qu'on a très brièvement vu dans le bus hier. Très vite, on décide d'avancer un peu ensemble, on discute, on bavarde, on décide de bivouaquer ensemble. Je ne le sais pas encore, mais on atteindra la Cap Nord ensemble. On s'arrête vers 14h, sur un terrain avec des huttes désaffectées. On demande à un voisin, manifestement ça ne pose de problème à personne. Ça ne me fera que 55 km aujourd'hui, mais quand je me suis vu m'endormir sur ma chaise, cette petite distance m'a paru appropriée. On a tous beaucoup de mal avec la lumière du jour permanente, l'endormissement est compliqué, et on accumule petit à petit des retards de sommeil importants.
Le trajet jusqu'à Trondheim n'est pas spectaculaire, mais il y a des beaux passages. Je retrouve Walter sur la place historique, ensuite on se rejoint pour la première fois tous les cinq. On a essayé le célèbre ascenseur à vélo de Trondheim, on a été ridicule... mais on était pas les seuls ! Le soir on a rejoint les 3 jeunes à leur AirBnb pour manger des pizzas maison... et boire des bières. Le retour à vélo à minuit était surnaturel : il faisait clair, personne dans les rues silencieuses. L'éclairage public parfois allumé, absolument inutile, comme pour rappeler aux rares passants que c'est l'heure où les honnêtes gens dorment.